Malgré une image souvent négative, l’industrie en pleine ascension veut séduire. A Figeac, dans la Mecanic Vallée spécialisée notamment en aéronautique, les besoins sont nombreux et les entreprises se renouvellent pour attirer les jeunes diplômés.
Léa Leblond, 18 ans, élève de l’IUT de Figeac (Lot) en filière «génie mécanique et productique» (GMP), raconte : «Quand j’ai dit à ma mère que je voulais travailler dans l’industrie, elle m’a fait les gros yeux.» On voit bien la scène : ma fille à l’usine ? «Je l’ai rassurée en disant que, quoi qu’il arrive, j’aurais toujours du travail.» Léa sait bien qu’il n’y a pas que ses parents à évangéliser : «L’image qu’on a de l’industrie, c’est complètement dépassé. On pense toujours à la révolution industrielle mais c’est fini tout ça. J’ai visité la verrerie d’Albi, c’était clean, propre, impeccable.»
Difficulté à recruter
Et puisqu’on en est à balayer les idées reçues, que pense-t-elle sur cet univers très masculin ? Elle répond que ça ne lui «fait pas peur». A l’IUT de Figeac, sur les 45 étudiants de première année en génie mécanique et productique, il n’y a que huit filles. Au lycée de Carmaux (Tarn), où Léa a passé un bac S «sciences de l’ingénieur» et où elle était «forte en techno», elles n’étaient pas majoritaires non plus à aimer découvrir «SolidWorks, un logiciel de conception 3D» et à vouloir poursuivre dans cette voie.
Comme tous ici, Léa sait qu’avec le diplôme universitaire de technologie que délivre l’IUT de Figeac, soit un bac + 2, on trouve du travail sans problème. Mais elle ne veut pas s’arrêter là. «Je pense faire ensuite une licence professionnelle.» Elle n’est pas la seule dans son cas. «A l’IUT, 95 % de nos étudiants poursuivent leurs études, et le font parfois dans d’autres régions. Ce n’est pas quelque chose qu’on va parvenir à changer», reconnaît Xavier Pumin, le directeur de l’IUT, ajoutant que «le passage prochain d’un DUT à un bachelor en trois ans va peut-être modifier la donne». Mais que les étudiants ne veuillent pas se contenter d’un bac + 2 est peut-être un bon signe : un taux de réussite de 85 % comme celui de l’IUT de Figeac peut donner aux élèves l’envie de pousser plus loin et, éventuellement de quitter leur région. Problème : si cet organisme d’enseignement a été créé en 1995 dans cette petite ville de 10 000 habitants, c’était aussi pour répondre aux besoins de l’industrie locale. Certes, «nous ne sommes pas tenus de coller aux besoins du territoire et beaucoup de mes collègues vous diront que nous ne sommes pas au service des entreprises, explique Xavier Pumin. Mais si les IUT sont implantés dans un territoire, c’est bien pour avoir des liens avec lui».
Le territoire industriel ici, c’est l’aéronautique, ses équipementiers, systémiers, cotraitants et sous-traitants (lire page IV). La Mecanic Vallée est un cluster de 213 entreprises, qui part de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), va d’Aurillac (Cantal) à Rodez (Aveyron) en passant par Figeac (Lot), auquel ont adhéré des poids lourds comme Collins Aerospace-Ratier, Figeac Aéro ou Bosch mais aussi quantité de PME. Tous partagent le même problème : la difficulté à recruter.
«Le taux de chômage sur le bassin d’emploi de Figeac est de 5 %», explique Philippe Atrous, directeur des ressources humaines dans l’unité Propeller Systems de Collins Aerospace, leader dans les hélices pour avions de transport commerciaux et avions militaires. Autrefois connue sous le nom de Ratier (patronyme du fondateur) et encore appelée ainsi dans toutes les conversations locales, cette entreprise qui emploie plus de 1 250 personnes est de celles où l’on reste : 2 % de turnover et une ancienneté moyenne de seize ans.
industrie à la campagne
Quand on lui demande si l’on trouve des pères et des fils parmi les salariés, Philippe Acrous répond : «Oui, et même le grand-père parfois.» Elisabeth Cerqueira, responsable recrutement, training et développement complète : «Nous restons une entreprise à taille humaine. Par moments, nous avons des fonctionnements de PME, c’est un de nos points forts.»
Ratier, c’est l’industrie à la campagne. «Les plus gros industriels de l’aéronautique sont à Toulouse mais Figeac peut être vu comme un avantage par certaines personnes car Toulouse a les mêmes inconvénients que toutes les grandes villes», dit Philippe Acrous. «Accéder à la propriété est plus facile chez nous», ajoute Elisabeth Cerqueira. Ce qui pour de jeunes adultes fondant une famille, est un facteur important.
Tout cela mis bout à bout suffit-il pour attirer les candidats ? «Actuellement, nous avons très peu de CV entrants», reconnaît Elisabeth Cerqueira. Pourtant, l’entreprise n’attend pas qu’on frappe à sa porte. «Nous cherchons partout en France», résume-t-elle. Le vivier des stagiaires est capital, «190 sur l’année, qui vont de la semaine d’observation en troisième jusqu’aux stages de fin d’études d’ingénieur qui durent six mois». A quoi s’ajoutent «90 alternants à l’année, en apprentissage ou en contrat de professionnalisation». Et, plus rare, «depuis neuf ans, nous faisons des formations de demandeurs d’emploi recrutés sur la méthode des habiletés et nous sortons des gens de la précarité», ajoute Elisabeth Cerqueira. «C’est une formation de douze mois, il y a 83 % de réussite et un certificat de qualification dans la métallurgie permet d’être recruté ailleurs», précise Philippe Acrous.
Avec cet arsenal, les difficultés de recrutement persistent-elles ? «Oui, sur certains profils», dit Philippe Acrous. «Et de plus en plus, sur l’ensemble des profils», déplore Elisabeth Cerqueira. Bigre. Si Ratier est à la peine, quid des multiples PME de la Mecanic Vallée ? Pareil.
Philosophie simple
Benoît Barthès est gérant de Mecalliance, douze collaborateurs à Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Le manque de main-d’œuvre ? «Cela fait vingt ans que j’entends ce discours, dit-il. Quand j’ai eu ma propre société, j’ai fait en sorte de prendre tout de suite des jeunes en apprentissage et beaucoup de stagiaires.» Parmi ses techniciens, «sur dix en production, cinq ont été apprentis chez moi ou ailleurs». Benoît Barthès affirme n’avoir «jamais eu de difficultés pour recruter», mais précise qu’il faut avoir «une vraie proposition». En clair : «Offrir des conditions de travail qui correspondent à l’état d’esprit des jeunes. Le salaire n’est pas la seule chose qui les attire. Les collègues, les conditions de travail, la flexibilité, ça compte aussi.»
La nature du travail également. L’industrie est une activité qui ne connaît ni les nuits ni les week-ends. Michaël Grellety, dirigeant de Fini Métaux, à Limoges, a une philosophie simple à ce sujet : «Il ne faut rien cacher aux gens avant qu’ils entrent chez nous.» Ni les trois-huit ni la «thématique « produits chimiques »», inhérente à cette activité «d’amélioration des capacités de pièces mécaniques par procédés chimiques».
Grosses ou petites entreprises, Michaël Grellety sait bien que toutes partagent les mêmes difficultés. «Quand on voit nos clients, qui sont des industriels purs et durs et qui ont aussi du mal à trouver des gens…» soupire-t-il. Fini Métaux traite des pièces pour l’aéronautique ou l’automobile, qui resteront invisibles au profane, mais aussi des éléments d’équipements sportifs, bien identifiables, eux. Pour recruter, cet aspect compte aussi.
Retour à l’IUT de Figeac, son bâtiment superbe et sa bonne ambiance. Ici, «60 % des cours sont donnés par une centaine de vacataires, qui viennent des entreprises, dit Xavier Pumin, le directeur. Nos formations sont hyperprofessionnalisantes.» Mais vont-elles convenir aux besoins du territoire ?
Des objets qui se voient
Pierre Nicolas, 18 ans, a passé son bac S à Marvejols (Lozère) et, en bon fils de garagiste, s’est rendu compte que la mécanique lui plaisait. Il a retapé une Méhari avec son père, voudrait travailler dans l’automobile, «pour faire quelque chose qu’on voit dans la rue». Marius Hugon, 18 ans, bac S passé à Cahors, veut devenir «ingénieur en développement sportif». C’est quoi ? «Toute la technologie appliquée au sport.» Encore des objets qui se voient. Cyprien Camus, 22 ans, a déjà travaillé dans l’aéronautique avant de reprendre ses études : «J’écrivais des notices de démontage d’avions pour un sous-traitant d’Airbus.» Ah oui ?
Cyprien avait été embauché par cette petite entreprise après un mois de formation en filière génie mécanique et productique. L’employeur avait rajouté une semaine de formation sur le logiciel qu’il utilisait, et en avant… Aujourd’hui, Cyprien se voit «dans l’automobile, la moto ou les technologies de l’environnement». Et les avions ?
Valentine Eymat, 17 ans, a eu son bac S sciences de l’ingénieur à Bergerac (Dordogne). A l’IUT de Figeac, elle se trouve exactement là où elle souhaitait. «De base, je voulais faire GMP, et pas dans une grande ville. Toulouse, Bordeaux… je ne pouvais pas.» Valentine a son plan en tête : «Après le DUT, j’aimerais bien entrer dans une école d’ingénieurs, si possible dans l’aéronautique. Si on est dans cette filière, c’est qu’on a un minimum d’intérêt pour tout ce qui touche à ça.» C’est dit sur le ton de l’évidence. Et quand on demande à Valentine si elle aime les avions, elle répond sur le même mode : «Ben oui…»