Les collectivités et la compagnie Amelia ont fait des efforts conjoints pour garantir la continuité de la ligne aérienne. Surcompensation d’un côté et investissements de l’autre, en particulier. Explications.
Arnaud Viala en atteste : « Tout est bien qui finit bien ! ». Le président du Département, également président du syndicat mixte de l’aéroport Air 12 (le conseil départemental y est majoritaire) a soldé les tensions autour du devenir de la ligne aérienne Rodez-Paris par une franche poignée de mains partagée avec Alain Regourd, PDG de la compagnie Amélia.
Lequel a confirmé qu’il demeurerait bien l’opérateur de ce courrier régulier relevant d’une délégation de service public, après avoir envisagé en tout début d’année, de jeter l’éponge début juillet si les collectivités ne faisaient pas l’effort estimé nécessaire. En réponse, celles-ci par la voix du président Viala avaient évoqué la possibilité d’un nouvel appel d’offres prématuré (lire notre édition du 25 juin).
Contexte sanitaire et « perte d’exploitation considérable »
Un effort dans quel but ? Ce contexte tendu était dicté par les difficultés rencontrées par la compagnie en raison de la crise sanitaire. « On a subi une crise sans précédent qui a perturbé notre équilibre financier, explique Alain Regourd. Nous avons eu une perte d’exploitation considérable, mais nous avons voulu maintenir un service minimum à la journée durant cette période. Une compensation supplémentaire était nécessaire, nous ne pouvions pas faire autrement même si nous savons nous adapter en permanence. Cette compensation a été âprement discutée et a fini par être actée, avec la validation de la Direction de l’aviation civile, nous permettant d’envisager la poursuite de l’activité ». Et ce au moins pour les mois qui viennent, le contrat de délégation de service public courant jusqu’en 2024.
Avenant et surcompensation
« C’est vrai, nous avons, avec nos partenaires, été surpris et inquiets de la possibilité évoquée par Amélia de renoncer à la ligne Rodez-Paris, reprend Arnaud Viala. On s’est mis au travail avec en ligne de mire l’équilibre de cette délégation, comme le permet la Direction de l’aviation civile. Il y a quelques jours, nous avons trouvé ce point d’équilibre à travers un avenant à cette délégation. Il n’y aura pas d’interruption de service, on va poursuivre avec Amelia au moins jusqu’aux termes du contrat, en 2024″.
L’avenant est en fait une « surcompensation », aide complémentaire aux compensations définies par le contrat, autour de 10 M€ sur quatre ans. Cette « rallonge » se situerait pour l’année 2020, qui a particulièrement impacté la compagnie, autour de 1,8 M€. Pour 2021, calculs et validation sont en cours.
Ligne aérienne essentielle
Arnaud Viala ne veut pas laisser entendre aux Aveyronnais que l’argent du contribuable est ainsi dépensé sans compter. « On gère tout avec parcimonie. Cette ligne aérienne est vitale pour notre économie, mais aussi pour tous les Aveyronnais, c’est une priorité ».
Et d’expliquer les modes de calcul complexes qui définissent cette surcompensation, payée par les seules collectivités (l’État ne participant qu’à la compensation globale). « Le mécanisme n’a qu’un but ; permettre l’équilibre économique dont a besoin la ligne pour qu’elle ne s’éteigne pas ».
L’implication d’Amelia
« Dans ce mécanisme de surcompensation, on demande seulement une garantie, insiste pour sa part Alain Regourd. On s’implique de notre côté en faisant tout pour que cette contribution reste en deçà du chiffre arrêté ».
Le PDG du groupe Regourd Aviation (Amelia) veut convaincre ainsi que sa compagnie fait également des efforts, « sans impacter la qualité du service rendu aux passagers que je remercie de leur fidélité ». Et de rendre hommage également à l’aéroport de Rodez « dont le service rendu est l’un des meilleurs que nous connaissons », Amelia étant présent entre autres à Brive et à Aurillac pour des lignes régulières avec la capitale.
Se revoir en septembre pour préparer l’avenir
La relation entre les deux contractants apparaît donc au beau fixe, d’autant qu’Alain Regourd ne manque pas d’avancer des projets de développement sur le site aéroportuaire (lire en encadré) « sur des bases solides et avec des créations d’emploi ».
Pour autant, rien ne saurait être gravé dans le marbre : les collectivités veulent se remettre, avec Amelia, autour de la table une fois l’été passé. « On se retrouvera en septembre pour affiner le bilan d’activité et mettre 2023 en perspective, prévient Arnaud Viala. Le Covid avait supprimé une rotation quotidienne, on verra alors si l’on pourra assurer, comme avant, une troisième rotation. Et puis, il nous faudra réfléchir au lancement d’une nouvelle délégation de service pour la période 2024-2028 sur cette ligne Rodez-Paris. Il faut un an pour consulter. Alors, on en élabore les contours dès à présent pour ne pas avoir de rupture en 2024″.
Un nouvel appel d’offres qui ne devrait pas laisser Amelia indifférent.
En chiffres
4 600 passagers par mois : c’est la fréquentation enregistrée par Amélia en 2019 avant la crise du Covid. À cette époque, l’opérateur assurait trois rotations quotidiennes entre Rodez et Paris.
985 passagers mensuels ont été recensés en 2020 au moment de l’épidémie, hors période de confinement où les avions sont restés cloués au sol. Ce chiffre est même descendu à 380 passagers par mois. Il faut dire qu’au cours de cette année-là, Amelia assurait un aller vers Paris le matin et un retour vers Rodez le soir.
3 000 passagers par mois depuis février. « Un chiffre en constante progression », assure Alain Regourd. La compagnie Amelia propose à nouveau deux rotations par jour et compte bien revenir rapidement à un troisième aller-retour vers la capitale.
10 M€. C’est le montant des compensations assurées par le contrat de délégation de service public signé avec Amelia pour une période de quatre ans (2019-2024), et concernant la ligne Rodez-Paris. Ce montant est versé à hauteur de 55 % par l’État, le reste étant à la charge du syndicat mixte de l’aéroport, et des collectivités qui le composent : le Département en détient ainsi 70 %, la Région 15 % , Rodez Agglo 10 % et la CCI 5 %. Arnaud Viala, président du Département veut réviser la participation de sa collectivité et souhaite que la Région accroisse la sienne. .
1,28 €, le prix d’un litre de kérosène (le carburant des avions) qui s’affichait encore il y a trois mois à 57 centimes d’euros. Le tarif a plus que doublé mais Amelia, à ce jour, n’a pas augmenté le prix de ses billets. La compagnie envisage de le faire dans les temps qui viennent « au prix d’un gros travail d’amortissement », avance Alain Regourd.
Amelia : deux grands projets industriels à l’aéroport
Le groupe Regourd Aviation en nourrissait le projet dès son arrivée sur le tarmac de Rodez ; créer dans les anciens hangars mitoyens de l’aéroport, propriété du syndicat mixte Air 12, un centre de maintenance, non seulement pour sa flotte mais aussi pour de nombreux clients. Ce sera chose faite incessamment, les collectivités du syndicat mixte se mettant d’ores et déjà à l’ouvrage pour « rendre ces hangars conformes aux normes aéronautiques et aux besoins de la compagnie », assure Arnaud Viala, parlant même de « travaux d’urgence ». Le tout pour un montant avoisinant les 3,5 M€.C’est une location de longue durée qui sera accordée à la filiale Amelia Tech, « ce qui nous permettra de monter en gamme et de désengorger notre site de Saint-Brieuc, plaide Alain Regourd. Il faut dire que nous sommes très sollicités : on refuse à ce jour beaucoup de travaux de maintenance ». Actuellement, quatre ATR 72-600 confiés par une compagnie colombienne sont déjà stationnés sur le parking en attente de révision. Le projet se solderait par l’embauche « de 40 à 50 personnes » sur le site.Deuxième projet en perspective : l’équipement d’avions court ou moyen courrier en propulsion par hydrogène. La filiale Amelia Green, basée en Californie, « a identifié une compagnie franco-américaine, Universal Hydrogen qui développe des kits pour équiper avec ce nouveau carburant des avions volant au kérosène, explique Alain Regourd. Cet équipement est valable pour des avions de petite capacité, comme des ATR 72 sur des courriers régionaux. Cette technologie nous a séduits ». D’autant que ces kits sont « retrofitables », c’est-à-dire adaptables aux flottes conventionnelles. Un large marché s’ouvre donc à Amelia Green et prendrait place sur l’aéroport de Rodez, ce qui entraînerait un agrandissement des hangars existants. Le syndicat mixte, qui en financerait les travaux, voit cette extension d’un bon œil, le projet promettant, là encore de créer un important volant d’emplois.
Christophe Cathala – La Dépêche – Le 29/06/2022